AK t’chat -Les deux solitudes
Au Québec, au cours des années 1990, il n’est fait aucunement mention dans la littérature du courant archivistique postmoderne qui se développe au Canada anglais et dont Terry Cook, l’un de ses principaux représentants, retrace les différentes manifestations en 2001 dans la revue Archival Science. Nous avons ici retenu uniquement les références concernant la scène archivistique canadienne :
The first mention of postmodernism (at least in English) by an archivist in an article title was by Terry Cook, in “Electronic Records, Paper Minds: The Revolution in Information Management and Archives in the Post-Custodial and Post-Modernist Era,” Archives and Manuscripts 22 (November 1994): 300–329 […]. The themes were continued in his “What Is Past Is Prologue,” […]. Two pioneering postmodern archivists before Cook were also Canadian, Brien Brothman and Richard Brown. Among other works, see Brien Brothman, “Orders of Value: Probing the Theoretical Terms of Archival Practice,” Archivaria 32 (Summer 1991): 78–100; “The Limits of Limits: Derridean Deconstruction and the Archival Institution,” Archivaria 36 (Autumn 1993): 205–220; and his probing review of Jacques Derrida’s Archive Fever, in Archivaria 43 (Spring 1997): 189–192, which ideas are very much extended in his “Declining Derrida: Integrity, Tensegrity, and the Preservation of Archives from Deconstruction,” Archivaria 48 [: 64–88]; and Richard Brown, “The Value of ‘Narrativity’ in the Appraisal of Historical Documents: Foundation for a Theory of Archival Hermeneutics,” Archivaria 32 (Summer 1991): 152–156; “Records Acquisition Strategy and Its Theoretical Foundation: The Case for a Concept of Archival Hermeneutics,” Archivaria 33 (Winter 1991–1992): 34–56; and “Death of a Renaissance Record-Keeper: The Murder of Tomasso da Tortona in Ferrara, 1385,” Archivaria 44 (Fall 1997): 1–43. In addition to the incisive articles by Preben Mortensen, “The Place of Theory in Archival Practice,” and Tom Nesmith, “Still Fuzzy, But More Accurate: Some Thoughts on the ‘Ghosts’ of Archival Theory,” […] Archivaria 47 (Spring 1999), other Canadian archivists reflecting postmodernist influences, at least in published form in English, include Bernadine Dodge, “Places Apart: Archives in Dissolving Space and Time,” Archivaria 44 (Fall 1997): 118–13l; Theresa Rowat, “The Records and the Repository as a Cultural Form of Expression,” Archivaria 36 (Autumn 1993): 198–204; Joan Schwartz, “We make our tools and our tools make us: Lessons from Photographs for the Practice, Politics, and Poetics of Diplomatics,” Archivaria 40 (Fall 1995): 40–74; and Lilly Koltun, “The Promise and Threat of Digital Options in an Archival Age,” Archivaria 47 (Spring 1999) : 114–135. (Cook, 2001, p. 10, note 13)
Dans cet article, Terry Cook en venait à la conclusion suivante :
Process rather than product, becoming rather than being, dynamic rather than static, context rather than text, reflecting time and place rather than universal absolutes—these have become the postmodern watchwords for analyzing and understanding science, society, organizations, and business activity, among others.
Aussi, ajoute-t-il :
They should likewise become the watchwords for archival science in the new century, and thus the foundation for a new conceptual paradigm for the profession. (Cook, 2001, p. 24)
En effet, au cœur de la pensée postmoderne réside un questionnement quant aux notions de « vérité universelle » ou de « connaissance objective ». Pour ses partisans : « Nothing is neutral. Nothing is impartial. Nothing is objective. Everything is shaped, presented, represented, re-presented, symbolized, signified, signed, constructed by the speaker, photographer, writer, for a set purpose. » (Cook, 2001, p. 7) Par conséquent, la pensée postmoderne vise à dénaturaliser « what it has for generations, perhaps centuries, accepted as normal, natural, rational, proven » (Cook, 2001, p. 8), ce qui semble être dans l’ordre immuable des choses. Ainsi qu’à mettre en évidence la dimension du pouvoir qui est inévitablement liée à la mémoire1« La conservation des archives a été, de tout temps, liée à l’exercice du pouvoir : posséder la mémoire est un moyen essentiel de gouverner et d’administrer. » cité dans . Historiquement, les exemples démontrent « that there is nothing neutral, objective, or “natural” about this process of remembering and forgetting. » (Cook, 2001, p. 9) Dans ce contexte, le « records », le document d’archives est loin d’apparaître « as an impartial, innocent by-product of action », c’est-à-dire un « empty vessel into which acts and facts are poured. » Il est plutôt vu comme « a mediated and ever-changing construction ». (Cook, 2001, p. 10)
La pensée postmoderne entraîne donc, au plan archivistique, à ne plus :
- Considérer les archives comme des objets physiques statiques mais plutôt en tant que concepts virtuels dynamiques ;
- Voir les archives comme les produits passifs découlant d’activités humaines ou administratives mais comme des agents actifs dans le processus mémoriel ;
- Envisager le contexte de création en fonction d’organisations hiérarchiques stables mais selon des réseaux fluides et décentralisés ;
- Concevoir le rôle de l’archiviste comme celui du gardien passif d’un héritage lui ayant été légué mais davantage comme un professionnel prenant une part active à la formation de la mémoire collective. (Cook, 2001, p. 4)
Bref, comme en témoignent les propos de Cook, les années 1990 voient ainsi se développer au Canada anglais une conception postmoderne de l’archivistique qui remet en question, moins les grands principes de base de la discipline, que l’interprétation qui en a été faite au fil du temps. En l’occurrence, les :
Cinq principales caractéristiques […] attribuées aux archives définitives, aussi appelées archives historiques, par les tenants d’une approche classique de l’archivistique : 1) de par leur caractère organique, elles sont considérées comme le reflet fidèle de leur créateur2Il est à noter toutefois qu’au cours des années 1990 au Québec, des archivistes comme Martine Cardin auront un point de vue nettement plus nuancé sur la question. Selon Cardin, « Si [les archives] semblent constituer une banque de connaissances authentiques, leur objectivité est toute relative. Elles reflètent toujours les consensus subjectifs par lesquels le producteur se définit dans le présent. Elles s’inscrivent dans un système de représentation qui respecte l’ordre établi par la culture organisationnelle. » ; 2) elles constituent un tout, un ensemble clos sur lui-même sur le plan de la signification ; 3) elles ont pour fonctions la preuve, le témoignage et l’information ; 4) leur utilité ou finalité est déterminée en regard du contexte de l’administration et de la recherche ; et 5) elles représentent l’étape finale, l’aboutissement du cycle de vie des archives. (Lemay, 2015, p. 292–293) 3 À tout le moins, certaines d’entre elles car, comme nous l’avons fait remarquer , les troisième et quatrième caractéristiques ne semblent pas avoir été pleinement considérées dans la critique postmoderne.
- 1« La conservation des archives a été, de tout temps, liée à l’exercice du pouvoir : posséder la mémoire est un moyen essentiel de gouverner et d’administrer. » cité dans
- 2Il est à noter toutefois qu’au cours des années 1990 au Québec, des archivistes comme Martine Cardin auront un point de vue nettement plus nuancé sur la question. Selon Cardin, « Si [les archives] semblent constituer une banque de connaissances authentiques, leur objectivité est toute relative. Elles reflètent toujours les consensus subjectifs par lesquels le producteur se définit dans le présent. Elles s’inscrivent dans un système de représentation qui respecte l’ordre établi par la culture organisationnelle. »
- 3À tout le moins, certaines d’entre elles car, comme nous l’avons fait remarquer , les troisième et quatrième caractéristiques ne semblent pas avoir été pleinement considérées dans la critique postmoderne.