Que dit la terminologie
La quatrième question que nous nous posions à propos du chapitre sur la diffusion dans Les archives au XXe siècle concernait la terminologie, à savoir est-ce que la notion de diffusion recoupe les autres termes généralement utilisés dans la littérature archivistique ?
Malgré l’importance qu’elle revêt dans le manuel, la « Compilation terminologique », nous l’avons souligné, fait peu état de termes en lien avec la fonction de diffusion. D’ailleurs, cette fonction n’y est pas définie en tant que telle. En fait, il faudra attendre la parution de l’ouvrage Les fonctions de l’archivistique contemporaine, en 1999, pour qu’une définition de la diffusion soit établie en regard de la pratique québécoise, à savoir que :
La diffusion est l’action de faire connaître, de mettre en valeur, de transmettre ou de rendre accessibles une ou des informations contenues 1L’accent qui est mis sur l’information, sur le contenu vient de « la préoccupation de l’archiviste québécois de placer son intervention dans la mouvance de la gestion de l’information. Il propose en conséquence une approche de l’archivistique qui s’intéresse au contenu des archives ». À noter, par ailleurs, que lors du 12e Congrès international des archives à Montréal, Carol Couture donnait une définition de la diffusion de l’information qui recoupe en partie celle formulée par Charbonneau en 1999 à l’effet de « rendre accessible les informations contenues dans les documents d’archives et ce, pour répondre aux besoins de deux clientèles, l’administrateur et le chercheur. » dans des documents d’archives à des utilisateurs (personnes ou organismes) connus ou potentiels pour répondre à leurs besoins spécifiques.
Quel est donc l’état de la terminologie en archivistique au tournant des années 1980 pour ce que l’on désigne par le vocable de « diffusion » au Québec ?
Dans le Basic Glossary for Archivists, Manuscript Curators, and Records Managers , il est fait mention des fonctions ou activités de référence, d’exposition et de publication dans les définitions de « Archives administration » et « Archivist » mais aucun terme plus précis, sauf pour la référence (« Reference service 2Service qui est défini comme suit : « The basic function of providing information about or from archives, manuscripts, and records; making holdings available for use; and providing copies or reproductions, either certified or uncertified, from holdings. » En France, en matière de référence, le règlement des archives départementales précise que : « “L’archiviste doit mettre à la disposition du public les documents communicables qui lui sont demandés, faire connaître en outre aux travailleurs le maniement des instruments de recherche et, d’une manière générale, les faire profiter de son expérience. Mais il n’est pas tenu de faire pour les intéressés les recherches qui leur incombent normalement et qu’il leur est possible de faire eux-mêmes.” » »), n’est disponible. À noter que dans la même année, parmi les termes réunis par le Comité de terminologie de l’Association des archivistes du Québec (AAQ), aucun d’entre eux n’est en lien avec la diffusion (AAQ, 1974) 3Pourtant, dans la revue Archives, quelques années plus tôt, Bernard Weilbrenner avait publié un article sur « L’exploitation et la diffusion des archives ». (Weilbrenner, 1971). Chez les archivistes français, l’on parle plutôt d’activités culturelles : « Essentiellement, il s’agit des expositions, services éducatifs, conférences, mais aussi, plus largement, de la participation des archivistes à la vie culturelle de leur région, participation qui prend des formes diverses et multiples selon les cas et qu’il serait bon, un jour, de recenser systématiquement » , ou bien d’animation culturelle. Mais certains, comme Jean-Pierre Babelon, vont alors préférer utiliser le terme de médiation 4Selon Dowler, « The concept of mediation is one of the operating principles that informs archival practice, in particular reference, and distinguishes archives from libraries. Traditionally, libraries have been guided by the vision of the self-sufficient researcher empowered to find sources through bibliographic tools. Mediation, or the intervention of the archivist between user and materials, on the other hand, is one of those unexamined archival practices, that, properly defined, is worthy of further consideration, especially as a way of relating reference and cataloging functions. » car « L’archiviste médiateur s’interpose entre le document d’archives et le public pour faire passer le message culturel du document, le traduire, l’expliquer, le situer dans son contexte. » 5Selon Babelon , la médiation pourra prendre différentes formes : expositions, conférences, publications, visites, centres de documentation, services éducatifs et autres activités (selon le talent et le goût personnel de l’archiviste). Par ailleurs, dans son rapport sur les relations des archives avec le grand public, Babelon fait aussi état des « moyens suggérés pour améliorer l’image de marque » 6Il s’agit des relations publiques, de l’amélioration des publications, des conditions d’accueil du lecteur, des rapports avec la presse, la radio et la télévision et des opérations portes ouvertes ou semaine des archives. c’est-à-dire des « suggestions qui ont été faites pour tirer les Archives de l’oubli, faire connaître leurs tâches essentielles, les présenter comme une administration moderne, efficace, branchée sur le contemporain et axée sur le service public » , bref, de moyens servant à faire la promotion des services d’archives.
Dans un sondage de la Society of American Archivists (SAA) sur les « “outreach” programs » en 1976, le terme outreach est défini sommairement de manière à inclure « all activities and programs promoting a greater awareness or use of archives », et ce, dans le but d’amener les archivistes « to look more closely at their own programs to rediscover those activities that serve to increase client awareness and appreciation of the work and collections of the archives. » 7La définition de « Outreach Programme » dans le Dictionnaire de terminologie archivistique correspond à celle de Pederson : « Organised activities of archives intended to acquaint potential users with its holdings and their research value (US). » Elle a été traduite en français comme suit : « [Programme de vulgarisation] Activités d’un service d’archives destinées à faire connaître à un public potentiel l’existence et la valeur scientifique des fonds et collections qu’il conserve (US). » Comme il est précisé en introduction : « S’il n’existe pas de terme équivalent dans le vocabulaire archivistique français, la définition anglaise traduite en français est placée entre crochets. » En 1978, Elsie Freeman Freivogel fait remarquer que « So new is the concept of outreach that as yet we have no generally accepted term for it, as do our neighbors in the museum field who refer to their counterpart regularly as museum education, and who call the training of museum specialists, museology. » 8Elle souligne que les termes « outreach, outreach programs, and education programs, terms in use in the United States, [are] subsumed in Canada under the rubric, diffusion. » En 1985, l’index des sujets des articles parus dans la revue Archives depuis 1969 comprend les termes suivants : exploitation et diffusion (1 référence) ; exposition (2 références) ; marketing (1 référence). C’est donc dire, que :
In its most basic aspect, outreach is the effort to enable a repository to become a more significant cultural institution, not by changing its purposes as some archivists perceive outreach activity, but by enabling the repository to meet more effectively its existing goals and objectives. Certainly this entails reporting to users about holdings, what they are, and how they might be used. It also entails the effort to explain archival mission to the broadest segment of the public and to broaden the base of researchers. 9En somme une approche en deux volets, comme le signalait David J. Delgado en 1967. « A vigorous information program can go a long way toward raising both the prestige and the usefulness of the institution and its personnel. This program can function in two ways that are not entirely separable. The first is communication to the public of the Archives’ problems and services, in order to attain such goals as prestige, needed legislation, or increased appropriations. […] Second, an information program can be a direct part of archival service. Activities such as the publication of guides, microfilm copies, and edited documents are primarily means of disseminating information about the Archives’ holdings. »
Outre le terme outreach 10« [O]utreach (in the general sense of including any type of promotion and public programming) is unique among the archival functions in that we invariably think about it only in terms of its atomic components: publications, exhibits, lectures and the like. » En effet, comme si les moyens définissaient la fonction., l’expression public programming est également utilisé dans la langue anglaise à propos des activités de diffusion. « Ann E. Pederson [et] Gail Farr Casterline [dans] Archives and Manuscripts: Public Programming […] defined public programmes in archives as “any activity that contributes to a greater awareness of archives and what they do.” (p. 7) » Blais et Enns, quant à eux, proposent « a comprehensive definition of public programming as those activities that result in direct interaction with the public to guarantee the participation and support necessary to achieve an archival repository’s mission and fulfil its mandate. » Ainsi, d’après Blais et Enns, la « programmation publique » aurait quatre principales composantes : « It supports the activities of the institution by creating an image of archives, promoting awareness and appreciation of archives, ensuring the education of users and the general public about the value and potential use of archives, and enabling use of the archival record. »
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Si l’on fait le bilan de la terminologie utilisée au Québec comparativement à celle en vigueur dans le contexte français ou anglophone (Tableau 2), il est évident que :
À la différence du bibliothécaire ou du spécialiste de l’information, l’archiviste ne peut tabler ni sur l’uniformité des termes, ni sur celle de leur usage, non seulement entre pays différents, mais même à l’intérieur d’un pays, tant la terminologie est liée aux traditions légales et administratives.
Néanmoins, tant au Québec qu’en France ou aux USA, les termes « diffusion », « activités culturelles », « image de marque », « outreach programs », « public programming », malgré leurs différences, ont en commun de distinguer deux volets à la question, un volet axé vers le public et un autre axé vers le centre ou le service d’archives.
Cependant, le deuxième volet proposé dans Les archives au XXe siècle, soit la « Diffusion par l’archiviste », comprend deux éléments qui ne sont pas pris en considération dans les contextes français et anglophone : à savoir les dimensions de la communicabilité (de l’accès) et de la référence. Il s’agit là donc d’une différence importante qui caractérise l’approche québécoise en matière de diffusion.
À ce propos, il est intéressant de souligner que c’est la conclusion à laquelle en arrive l’archiviste américain Bruce W. Dearstyne quelques années plus tard :
Finally, archivists need to consider merging reference, outreach, and public programs into a new, aggressive, proactive public service concept that is integrated into the total archival program. Reference has been too narrowly conceptualized as a passive, reactive function isolated from the rest of the archival program.
Eric Ketelaar abonde dans le même sens lors du 11e Congrès international des archives à Paris en 1988 :
Exploitation encompasses more than just the use of archives. Without intellectual control, usage is not possible. Consequently, exploitation presupposes the making of finding aids. Exploitation, furthermore, includes the provision of a reference service: all activities involved in providing information about or from archives, making holdings available for use in search rooms and providing copies.
Tout comme James Lambert en 1990. Selon ce dernier, « la référence constitue l’aboutissement du système archivistique, “la justification même et la finalité” de toute activité archivistique » et, par conséquent, elle est une « composante de la fonction de diffusion ». 11À souligner le glissement de sens avec les vues exprimées par le Comité des buts et priorités de la SAA : la finalité n’est plus l’exploitation mais la référence. Par contre Mary Jo Pugh, dans Providing Reference Services for Archives and Manuscripts, tient à rappeler, d’entrée de jeu, que : « Archival and manuscript repositories identify and preserve records of enduring value; most importantly, they make them available for use. Reference services in archival and manuscript repositories assist users, and potential users, in using archival holdings and locating information they need. Archives are tools; like all tools, they are kept to be used. » Par conséquent, la finalité est belle et bien l’exploitation et non la référence. De plus, il est à noter que dans son manuel, Pugh aborde la question des programmes publics et donne des exemples de la manière dont les archivistes de référence peuvent y contribuer.
Au Québec, la diffusion, en tant que fonction, comprend donc toutes les activités qui permettent de faire connaître et de mettre en valeur les archives (promotion et valorisation), tout comme celles visant à les rendre accessibles et exploitables (communication et référence), en somme, une perspective plus large, plus englobante comparativement aux autres milieux archivistiques.
[1] À souligner le glissement de sens avec les vues exprimées par le Comité des buts et priorités de la SAA : la finalité n’est plus l’exploitation mais la référence. Par contre Mary Jo Pugh, dans Providing Reference Services for Archives and Manuscripts, tient à rappeler, d’entrée de jeu, que : « Archival and manuscript repositories identify and preserve records of enduring value; most importantly, they make them available for use. Reference services in archival and manuscript repositories assist users, and potential users, in using archival holdings and locating information they need. Archives are tools; like all tools, they are kept to be used. » (Pugh, 1992, p. 3) Par conséquent, la finalité est belle et bien l’exploitation et non la référence. De plus, il est à noter que dans son manuel, Pugh (1992, p. 50–53) aborde la question des programmes publics et donne des exemples de la manière dont les archivistes de référence peuvent y contribuer.
- 1L’accent qui est mis sur l’information, sur le contenu vient de « la préoccupation de l’archiviste québécois de placer son intervention dans la mouvance de la gestion de l’information. Il propose en conséquence une approche de l’archivistique qui s’intéresse au contenu des archives ». À noter, par ailleurs, que lors du 12e Congrès international des archives à Montréal, Carol Couture donnait une définition de la diffusion de l’information qui recoupe en partie celle formulée par Charbonneau en 1999 à l’effet de « rendre accessible les informations contenues dans les documents d’archives et ce, pour répondre aux besoins de deux clientèles, l’administrateur et le chercheur. »
- 2Service qui est défini comme suit : « The basic function of providing information about or from archives, manuscripts, and records; making holdings available for use; and providing copies or reproductions, either certified or uncertified, from holdings. » En France, en matière de référence, le règlement des archives départementales précise que : « “L’archiviste doit mettre à la disposition du public les documents communicables qui lui sont demandés, faire connaître en outre aux travailleurs le maniement des instruments de recherche et, d’une manière générale, les faire profiter de son expérience. Mais il n’est pas tenu de faire pour les intéressés les recherches qui leur incombent normalement et qu’il leur est possible de faire eux-mêmes.” »
- 3Pourtant, dans la revue Archives, quelques années plus tôt, Bernard Weilbrenner avait publié un article sur « L’exploitation et la diffusion des archives ». (Weilbrenner, 1971)
- 4Selon Dowler, « The concept of mediation is one of the operating principles that informs archival practice, in particular reference, and distinguishes archives from libraries. Traditionally, libraries have been guided by the vision of the self-sufficient researcher empowered to find sources through bibliographic tools. Mediation, or the intervention of the archivist between user and materials, on the other hand, is one of those unexamined archival practices, that, properly defined, is worthy of further consideration, especially as a way of relating reference and cataloging functions. »
- 5Selon Babelon , la médiation pourra prendre différentes formes : expositions, conférences, publications, visites, centres de documentation, services éducatifs et autres activités (selon le talent et le goût personnel de l’archiviste).
- 6Il s’agit des relations publiques, de l’amélioration des publications, des conditions d’accueil du lecteur, des rapports avec la presse, la radio et la télévision et des opérations portes ouvertes ou semaine des archives.
- 7La définition de « Outreach Programme » dans le Dictionnaire de terminologie archivistique correspond à celle de Pederson : « Organised activities of archives intended to acquaint potential users with its holdings and their research value (US). » Elle a été traduite en français comme suit : « [Programme de vulgarisation] Activités d’un service d’archives destinées à faire connaître à un public potentiel l’existence et la valeur scientifique des fonds et collections qu’il conserve (US). » Comme il est précisé en introduction : « S’il n’existe pas de terme équivalent dans le vocabulaire archivistique français, la définition anglaise traduite en français est placée entre crochets. »
- 8Elle souligne que les termes « outreach, outreach programs, and education programs, terms in use in the United States, [are] subsumed in Canada under the rubric, diffusion. » En 1985, l’index des sujets des articles parus dans la revue Archives depuis 1969 comprend les termes suivants : exploitation et diffusion (1 référence) ; exposition (2 références) ; marketing (1 référence).
- 9En somme une approche en deux volets, comme le signalait David J. Delgado en 1967. « A vigorous information program can go a long way toward raising both the prestige and the usefulness of the institution and its personnel. This program can function in two ways that are not entirely separable. The first is communication to the public of the Archives’ problems and services, in order to attain such goals as prestige, needed legislation, or increased appropriations. […] Second, an information program can be a direct part of archival service. Activities such as the publication of guides, microfilm copies, and edited documents are primarily means of disseminating information about the Archives’ holdings. »
- 10« [O]utreach (in the general sense of including any type of promotion and public programming) is unique among the archival functions in that we invariably think about it only in terms of its atomic components: publications, exhibits, lectures and the like. » En effet, comme si les moyens définissaient la fonction.
- 11À souligner le glissement de sens avec les vues exprimées par le Comité des buts et priorités de la SAA : la finalité n’est plus l’exploitation mais la référence. Par contre Mary Jo Pugh, dans Providing Reference Services for Archives and Manuscripts, tient à rappeler, d’entrée de jeu, que : « Archival and manuscript repositories identify and preserve records of enduring value; most importantly, they make them available for use. Reference services in archival and manuscript repositories assist users, and potential users, in using archival holdings and locating information they need. Archives are tools; like all tools, they are kept to be used. » Par conséquent, la finalité est belle et bien l’exploitation et non la référence. De plus, il est à noter que dans son manuel, Pugh aborde la question des programmes publics et donne des exemples de la manière dont les archivistes de référence peuvent y contribuer.