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La diffusion comme objectif ultime


La première question que nous nous posons à propos du chapitre sur la diffusion dans Les archives au XXe siècle est à savoir si le fait de considérer la diffusion comme l’objectif ultime de l’archiviste représente une vision qui est partagée par le milieu des archives ? Contrairement à ce que l’on pourrait croire, et j’en ai été le premier étonné, le fait d’envisager la diffusion comme la raison d’être du travail de l’archiviste n’avait rien en soi d’exceptionnel à l’époque.

L’idée que « the ultimate goal of archival work is to identify and preserve information that is put to use by people for some deliberate purpose » est déjà bien présente notamment dans la pensée de Schellenberg qui, comme nous l’avons vu, dès le milieu des années 1950 faisait remarquer que si « the first, or primary reason why most records are preserved is to accomplish the purpose for which they were created and accumulated », cette raison n’est pas à elle seule suffisante d’un point de vue archivistique. « They must be preserved for another reason to be archives, and this reason is a cultural one. They are preserved for use by bodies other than those that created them, as well as by their creators. »

En effet, soulignait William K. Lamb, l’archiviste fédéral du Canada, « There is the interesting point, well known to anyone who serves readers in a searchroom, that the purpose for which a record is consulted frequently has little or nothing to do with the purpose for which it was originally made. » Qui dit archives, sous-entend donc des documents qui représentent une utilité culturelle. « The primary purpose of archives is cultural, and it is the research value of documentation that invests this essentially cultural purpose with substance and significance. » Et, à propos de cette dimension culturelle des archives, dont fait part Schellenberg et qui justifie leur conservation, elle doit selon William L. Joyce être envisagée « in its broadest anthropological sense, to indicate the totality of symbols and signs—the way of life—that gives meaning and substance to human life and enables it to be transmitted to subsequent generations. » Autrement dit, « les activités propres des Archives sont en elles-mêmes culturelles par le fait essentiel qu’elles unissent de manière indissoluble les préoccupations administratives, pratiques et scientifiques, l’utilisation immédiate des documents et les besoins non encore définis des chercheurs futurs. » Dès 1971, Bernard Weilbrenner, l’Archiviste fédéral adjoint, écrivait dans la revue Archives :

La diffusion des archives, des valeurs culturelles rassemblées et préservées dans les archives devrait sans doute être une des préoccupations majeures des archivistes, car c’est à la fois la justification de leur travail et l’aspect qui intéresse le plus la société. 1Lors de la XVe Conférence internationale de la Table Ronde des archives qui s’est tenue à Ottawa du 7 au 10 octobre 1974, « Les sujets de discussion ont porté sur la publicité et les relations publiques et plus particulièrement sur les publications, les expositions et les services d’éducation. » Ainsi, lors de cette conférence, l’on constate que « pour atteindre le public non académique, qui normalement ne visite pas les archives, [on se sert dorénavant] de la presse, de la radio, de la télévision, de présentations audio-visuelles, de la publication de revues accessibles à tous et de présentations de documents reliés à des questions d’actualité. »

C’est là également le point de vue exprimé en 1980 par Jacques Ducharme et Jean-Yves Rousseau, du Services des archives de l’Université de Montréal, toujours dans la revue Archives :

Le rôle de conservation des archives est important, en autant que les documents puissent être exploités par la suite. La conservation n’est pas une fin, mais le moyen de rendre disponible, aux générations futures, l’ensemble de la documentation produite par leurs prédécesseurs. Tout le travail de l’archiviste n’a de sens que dans cette finalité.

Un point de vue qui correspond à celui des archivistes français sur la question : « Recueillir, classer, inventorier les documents ne servirait à rien si tous ces travaux n’aboutissaient pas à la finalité propre du métier d’archiviste : la mise des documents à la disposition des chercheurs et des administrations. » C’est « la règle d’or de la profession : quelle que soit la nature du document, l’archiviste a le devoir de le conserver, non pas pour le culte exclusif du passé, mais pour en assurer une meilleure utilisation dans l’avenir ! » En d’autres termes : « [L]es archives ne sont pas seulement des magasins de documents, des “greniers de l’histoire”, comme on l’a dit poétiquement mais inexactement. L’archiviste doit en assurer l’exploitation la plus complète pour le public le plus large possible. » « Every archives exists to serve a public, whether that is the general public or a specific public like a board of directors. » Bref, « à quoi bon conserver si ce n’est pour communiquer ? »

« The goal is use. » Cette vision selon laquelle l’utilisation est le but de la pratique archivistique continuera à prendre de l’importance au cours des années 1980 et 1990 :

In discussing the research use of archival documents, it may be constructive to recognize at the outset that use provides the ultimate justification for archives. In simple language, what indeed is the point of archives if the “collective memory” that they embody (to use Sir Arthur Doughty’s expression) is not vigorously exploited by a wide range of users? Put another way, the essential utility and value of the information housed in archives is expressed through research use. The communication both of this mission and of information in general, therefore, is pivotal in the management of archives.

Par conséquent, les chercheurs « should not just be classified as the users of archives, nor should they be made spectators or voyeurs or customers; rather, they must in the future become participants in the archival mission. » Car, les « records do not exist until they are used. » Le caractère en devenir des archives, un élément qui sera central dans la pensée archivistique postmoderne, est donc déjà présent à l’esprit de certains archivistes.


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    Lors de la XVe Conférence internationale de la Table Ronde des archives qui s’est tenue à Ottawa du 7 au 10 octobre 1974, « Les sujets de discussion ont porté sur la publicité et les relations publiques et plus particulièrement sur les publications, les expositions et les services d’éducation. » Ainsi, lors de cette conférence, l’on constate que « pour atteindre le public non académique, qui normalement ne visite pas les archives, [on se sert dorénavant] de la presse, de la radio, de la télévision, de présentations audio-visuelles, de la publication de revues accessibles à tous et de présentations de documents reliés à des questions d’actualité. »