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La raison d’être des archives : leur utilité


Faisant suite aux recherches qui ont été menées lors du projet « Archives
et création : nouvelles perspectives sur l’archivistique » (CRSH, Programme
Savoir, 2013–2016) 1À cet effet, voir les Cahier 1 (Lemay et Klein, 2014), Cahier 2 (Lemay et Klein, 2015) et Cahier 3 (Lemay et Klein, 2016) disponibles dans Papyrus, le dépôt institutionnel de l’Université de Montréal. , notre postulat est à l’effet que les archives sont créées et
conservées en vue de leur utilité 2Utilité dans le sens de « Caractère de ce qui est utile. Utilité d’un objet, d’un instrument, d’un outil ; utilité d’un art, de la médecine, d’une théorie ; utilité économique, matérielle, morale, sociale, spirituelle ». (CNRTL, 2012). C’est là d’ailleurs ce que laisse clairement
entendre leur définition :


Ensemble des documents, quelle que soit leur date ou leur nature,
produits ou reçus par une personne ou un organisme pour ses besoins
ou l’exercice de ses activités et conservés pour leur valeur d’information
générale. (LégisQuébec, 2019, nous soulignons)


Materials created or received by a person, family, or organization,
public or private, in the conduct of their affairs and preserved because
of the enduring value contained in the information they contain or as
evidence of the functions and responsibilities of their creator, especially
those materials maintained using the principles of provenance,
original order, and collective control ; permanent records. (Pearce-Moses,
2005, nous soulignons)


An organized collection of the noncurrent records of the activities of
a business, government, organization, institution, or other corporate
body, or the personal papers of one or more individuals, families,
or groups, retained permanently (or for a designated or indeterminate
period of time) by their originator or a successor for their permanent
historical, informational, evidential, legal, administrative, or monetary
value […]. (Reitz, 2014, nous soulignons)


Les archives sont l’ensemble des documents, y compris les données,
quels que soient leur date, leur lieu de conservation, leur forme et
leur support, produits ou reçus par toute personne physique ou morale
et par tout service ou organisme public ou privé dans l’exercice de leur
activité.


La conservation des archives est organisée dans l’intérêt public tant
pour les besoins de la gestion et de la justification des droits des
personnes physiques ou morales, publiques ou privées, que pour la
documentation historique de la recherche. (Legifrance, 2019, Livre II,
Articles L211–1 et Article L211–2, nous soulignons)

Comme le soulignent ces différentes définitions, les archives sont des documents qui sont créés afin de soutenir les activités d’une personne ou d’un organismeet qui sont conservés en vue de leur utilité à court, à moyen et à long terme,c’est-à-dire à titre de preuve ou de témoignage, dans le but de faire valoirdes droits ou de respecter des obligations, comme source d’information ou de documentation pour la recherche, à caractère historique, etc. Bref,les archives sont utilisées pour répondre à des besoins des plus diversifiés,y compris à des fins de création ou de loisir 3Dans un rapport d’enquête sur les publics des services d’archives en France, l’on souligne que « plus d’un lecteur et un internaute sur dix viennent simplement pour se cultiver ou par curiosité personnelle ». (Guigueno et Pénicaut, 2015, p. 70). En effet, bien que les définitions,de par leur orientation légale ou fonctionnelle, mettent surtout l’accent surla dimension pratique des archives 4Au détriment de leur dimension symbolique, comme le faisait remarquer James M. O’Toole (1993)., nos travaux nous ont montré quele cadre de référence, soit les champs d’existence qui servent à justifier leurconservation, tels que l’administration, la recherche et le patrimoine,apparaissent quelque peu restrictifs et qu’il faut en reconsidérer l’étendueafin d’y inclure la capacité des archives à nourrir l’imagination et à soutenirla créativité (Lemay et Klein, 2016, Archives et création : bilan, p. 164–165).Car, dans les faits, « la seule limite à l’utilisation des archives est l’imaginationdes usagers. » 5Il est à noter toutefois, comme nous le mentionnions dans les Notes de recherche 1 (Lemay, 2017), qu’en formulant cette remarque Normand Charbonneau souhaitait souligner que, par conséquent, « les centres d’archives sont confrontés à des problèmes de gestion de la reproduction et de l’utilisation des archives. »

Alors, si « ce qui justifie la conservation des archives est leur capacité, en tant que témoignage des activités de leur créateur, de répondre à des besoins »,cela veut donc dire que « par définition, l’exploitation est reconnue comme partie intégrante des archives » puisqu’elle-mêmeenglobe les besoins des utilisateurs.Par ailleurs, on remarque que la définition dominante des archives commedocuments produits par une personne physique ou morale dans le cadrede ses activités, malgré les quelques nuances apparaissant ici et là, trouveson origine dans la relation des archives à l’État. Toutes les définitions mentionnées plus haut sont des adaptations et des mises à jour de la définition donnée par Natalis de Wailly en 1841 pour les archives départementales françaises : les archives regroupent les documents « qui proviennent d’un corps, d’un établissement, d’une famille ou d’un individu […] » (Ministère français de l’Instruction publique et des Beaux-Arts 1884, p. 17), définition qui sera rapidement assignée aux archives nationales.

Depuis plusieurs années pourtant, la recherche autour des archives — qu’elle soit menée par des archivistes ou des chercheurs d’autres champs — a permis d’interroger cette définition (Hottin, 2006, Plaidoyer) et de développer d’autres conceptions, soit :

[…] l’ensemble des traces d’une activité, disons plus généralement la somme et le reste de cette activité […] non seulement la trace mais le signe même de cette activité et par là même elle est une expression matérielle de l’activité […] elle-même. (Müller, 2006, p. 5, nous soulignons)

Ou, différemment : « les traces comme des symptômes du social plutôt que comme des empreintes des acte(ur)s. » (Morsel, 2016, p. 861)

Lectures suggérées :


• Un article sur l’ouvrage Quartiers disparus (Charlebois et Linteau,2014) dont le but était de mettre en évidence « l’envers du décor, à savoir que les archives, en vertu de leur définition même et du principe d’utilité qui la sous-tend, doivent être considérées dans la perspective de leur exploitation afin d’en comprendre toutes les particularités. » (Lemay et Klein, 2015, Quartiers disparus, p. 187)

Exemples :
• Les archives photographiques et audiovisuelles sont des exemples typiques de ces documents d’archives créés pour certaines raisons et utilisés pour d’autres 6 En fait, il serait plus juste de dire qu’« elles sont créées pour certaines raisons, gardées pour d’autres raisons, et utilisées pour diverses autres raisons ». (Côté-Lapointe, 2018, p. 172) Autrement dit : Créées = la fixation dans l’espace ; Gardées = la temporalité du document, sa transmission dans le temps ; et Utilisées = la dimension de l’observateur (relativité de l’interprétation). afin d’illustrer des articles, des bulletins de nouvelles, des reportages, des ouvrages, comme Quartiers disparus (Charlebois et Linteau, 2014), ou de produire des séries (Brochu, 2019),des collections, etc., voire de servir à la création de films (Winand, 2016, Archives ; 2016, Matériau ; 2018, Expérimentation) ou de vidéos (Côté-Lapointe, 2015 ; 2016) à caractère expérimental. Les dessins et plans architecturaux sont également un cas concret de documents produits et utilisés dans le cadre d’une activité précise (production d’un dossier de projet, édification d’une bâtisse), mais que l’on va également retrouver à des fins d’illustration dans les livres d’histoire ou au sein des publications liées à l’architecture. (Noppen et Grignon, 1983 ; Tavares, 2016)

Thématiques reliées :
Pouvoir ; Contre-pouvoir : Si les archives sont associées au pouvoir (Harris, 2002 ; Ketelaar, 2001 ; Schwartz et Cook, 2002), la possibilité de les utiliser pour des raisons différentes de celles ayant mené à leur création et à leur conservation permet à un contre-pouvoir de s’exprimer. (Ghaddar, 2016 ; Klein et Lemay, 2014, Les archives photographiques) L’introduction de « La loi sur l’archivage » du Canton de Vaud rédigée par Gilbert Coutaz et Christian Gilliéron présente très bien ce point. (Coutaz et Gilliéron, 2012)

• Cadre de référence ; Champs d’existence : Le cadre de référence correspond aux domaines d’activités auxquels se réfèrent les archivistes pour justifier la conservation des archives alors que les champs d’existence « sont, pour leur part, les domaines d’activité qui utilisent effectivement les archives en lien ou non avec le travail des archivistes. »
Cette distinction permet de mettre en évidence que le cadre de référence invoqué par les archivistes « est en fait essentiellement déterminé par rapport à la recherche à des fins administratives ou scientifiques. » (Klein, 2014, p. 78)

• Champs d’exploitation : À propos des domaines d’activité, Simon Côté-Lapointe propose de distinguer six champs d’exploitation des archives, dont celui à des fins artistiques.


Charbonneau, N. (1999). La diffusion. In C. Couture, Les fonctions de l’archivistique contemporaine (pp. 373–428). Presses de l’Universite du Quebec.
Lemay, Y., & Klein, A. (2014). Les archives définitives : un début de parcours. Revisiter le cycle de vie et le Records continuum. Archivaria, 73–102. https://archivaria.ca/index.php/archivaria/article/view/13484
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    À cet effet, voir les Cahier 1 (Lemay et Klein, 2014), Cahier 2 (Lemay et Klein, 2015) et Cahier 3 (Lemay et Klein, 2016) disponibles dans Papyrus, le dépôt institutionnel de l’Université de Montréal.
  • 2
    Utilité dans le sens de « Caractère de ce qui est utile. Utilité d’un objet, d’un instrument, d’un outil ; utilité d’un art, de la médecine, d’une théorie ; utilité économique, matérielle, morale, sociale, spirituelle ». (CNRTL, 2012)
  • 3
    Dans un rapport d’enquête sur les publics des services d’archives en France, l’on souligne que « plus d’un lecteur et un internaute sur dix viennent simplement pour se cultiver ou par curiosité personnelle ». (Guigueno et Pénicaut, 2015, p. 70)
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    Au détriment de leur dimension symbolique, comme le faisait remarquer James M. O’Toole (1993).
  • 5
    Il est à noter toutefois, comme nous le mentionnions dans les Notes de recherche 1 (Lemay, 2017), qu’en formulant cette remarque Normand Charbonneau souhaitait souligner que, par conséquent, « les centres d’archives sont confrontés à des problèmes de gestion de la reproduction et de l’utilisation des archives. »
  • 6
    En fait, il serait plus juste de dire qu’« elles sont créées pour certaines raisons, gardées pour d’autres raisons, et utilisées pour diverses autres raisons ». (Côté-Lapointe, 2018, p. 172) Autrement dit : Créées = la fixation dans l’espace ; Gardées = la temporalité du document, sa transmission dans le temps ; et Utilisées = la dimension de l’observateur (relativité de l’interprétation).